Dénoncé par sa femme, il est licencié pour avoir travaillé pour un concurrent pendant son arrêt maladie : il réclame 140 000 €

licenciement pour faute grave

Parfois, une vie professionnelle entière bascule à cause d’un détail que personne n’avait vu venir. Ce qui ressemble d’abord à une simple tension de couple peut se transformer en affaire d’État, surtout quand s’invite la justice. Une lettre glissée dans une enveloppe, un geste de colère ou de lassitude, et tout change. Cette affaire le prouve : derrière un arrêt maladie, un double emploi discret, et des années de loyauté apparente, se cache un dossier qui finira par parler de règles, de morale, et de licenciement pour faute grave.

Licenciement pour faute grave : le point de rupture

Il travaillait depuis plus de vingt ans dans une grande entreprise publique du secteur de l’énergie. Une carrière stable, presque linéaire, comme on en voit peu aujourd’hui. Mais l’équilibre qu’il pensait solide a vacillé du jour au lendemain, lorsqu’un simple courrier est arrivé sur le bureau de son employeur. La lettre ne venait ni d’un syndicat, ni d’un responsable hiérarchique. Elle venait de chez lui. Plus précisément, de sa femme.

Elle écrivait noir sur blanc que son mari « travaillait alors qu’il se disait malade », qu’il « n’était absolument pas en dépression » et qu’il profitait de la situation « pour des raisons financières ». On imagine le choc, à la fois pour l’employeur et pour l’homme visé. Un couple en crise, peut-être. Un conflit intime qui déborde dans le monde professionnel et déclenche une procédure aussi lourde qu’inattendue.

L’entreprise prend du recul, se méfie d’une dénonciation qui pourrait n’être qu’un règlement de comptes. Mais la direction vérifie. Elle demande des documents à la société concurrente. Elle récupère des plannings, des factures, des preuves concrètes. Le rapport interne tombe : il avait effectivement animé huit sessions de formation rémunérées durant son arrêt maladie, entre novembre 2015 et janvier 2016.

À partir de là, tout s’enchaîne. Convocation en août 2016. Entretien disciplinaire. Puis trois mois plus tard, verdict : « mise à la retraite d’office ». Une expression qui sonne presque douce, mais qui, dans ce cas précis, cache une réalité bien plus sèche : un véritable licenciement pour faute grave, tel que prévu par le statut des industries électriques et gazières.

Une bataille judiciaire sans sortie de secours

Pour la première fois de sa carrière, il découvre la face la plus rude de ce statut particulier, issu de 1946, qui impose des règles strictes, parfois plus rigides que le droit commun. Le texte est clair : exercer un travail rémunéré pendant un arrêt maladie constitue automatiquement une faute grave, même si l’employeur n’a subi aucun préjudice.

Il ne se résigne pas. Il conteste. Et il saisit les prud’hommes, persuadé que sa bonne foi sera reconnue. Pour lui, son activité secondaire n’avait rien d’un acte déloyal. Pas de concurrence directe. Pas d’atteinte à l’entreprise. Rien qui justifie une sanction aussi lourde. Il demande 140 000 euros de dommages et intérêts, persuadé qu’il obtiendra gain de cause.

Les juges, eux, lisent le statut, examinent les faits, et concluent que l’affaire est entendue. Une première fois aux prud’hommes, puis une seconde fois en appel. Les deux décisions vont dans le même sens : la faute est avérée, et la sanction est légitime.

Il tente une dernière carte. La Cour de cassation. Le sommet. Le dernier recours possible lorsqu’il ne reste plus rien à perdre. En juin 2025, la plus haute juridiction tranche à son tour : le texte est explicite, et la règle s’applique telle quelle. Travailler pour un autre employeur durant un arrêt maladie constitue bien une faute grave au sens du statut des industries électriques et gazières, même sans préjudice pour l’entreprise.

Le voile se lève : cette histoire n’est pas seulement celle d’un homme qui pensait pouvoir cumuler deux activités discrètement. C’est aussi l’histoire d’une règle très ancienne, très spécifique, qui survit encore aujourd’hui. Une règle qui entraîne automatiquement un licenciement pour faute grave quand elle est violée, sans nuances, sans conditions, sans prise en compte du contexte personnel.

Un statut particulier qui change toutes les lignes

Ce dossier a surpris plus d’un observateur, notamment parce qu’il ne relève pas du Code du travail classique. Là où un salarié du privé peut parfois justifier une activité pendant un arrêt maladie – à condition de rester loyal et de ne pas nuire à l’employeur –, les agents des industries électriques et gazières vivent sous un cadre différent.

Leur statut interdit toute activité rémunérée pendant un arrêt, même un cours d’une heure, même une intervention ponctuelle pour une structure totalement extérieure au secteur. La faute se déclenche automatiquement. Il suffit que les faits existent. Pas besoin de démontrer un préjudice. Pas besoin de prouver un manque de loyauté. Le texte est verrouillé depuis 1946, et les juges continuent de l’appliquer strictement.

Cet homme découvre alors un paradoxe saisissant : vingt ans d’ancienneté ne pèsent rien face à une règle statutaire. Toute sa carrière bascule à cause de huit sessions de formation, réparties sur quelques semaines. À partir du moment où l’activité est prouvée, la machine disciplinaire semble implacable. Le licenciement pour faute grave devient la seule issue possible. Il repart sans indemnité. Sans préavis. Et doit même payer les frais de justice de l’entreprise.

Ce cadre juridique rigide rappelle que certains secteurs publics fonctionnent avec des règles héritées du passé, pensées pour garantir une loyauté absolue dans des métiers liés à l’énergie. La logique peut surprendre aujourd’hui, surtout face aux pratiques du secteur privé, mais elle demeure légalement solide.

Équilibre entre vie privée, loyauté et droit du travail

Cette affaire, au-delà de son aspect spectaculaire, soulève une question plus large : jusqu’où la vie professionnelle peut-elle s’immiscer dans la vie intime ? Une dénonciation conjugale, un courrier brutal, un conflit familial qui déborde dans le monde du travail… Ce mélange n’arrive pas tous les jours.

Il révèle aussi à quel point certains salariés ignorent les règles exactes de leur statut. Beaucoup pensent pouvoir cumuler une activité sans risque dès lors qu’elle ne concurrence pas leur employeur. Ce n’est pas toujours vrai. Et ici, c’était même strictement interdit.

Pour les salariés du privé, l’histoire peut sembler lointaine, presque étrangère. Dans leur cas, un licenciement pour faute grave n’est prononcé que si la loyauté est rompue, ou en cas de concurrence directe. Pas pour une simple activité parallèle. Tout repose sur l’impact de l’acte, sur la relation de confiance, sur l’effet concret pour l’entreprise.

Mais dans ce secteur particulier, la règle n’a pas bougé depuis des décennies. Elle fonctionne comme une barrière absolue. Et si elle est violée, même une seule fois, elle balaye tout le reste : l’ancienneté, la situation personnelle, les intentions.

Cette histoire restera probablement comme un cas d’école, le genre de dossier qu’on cite dans les formations RH pour rappeler l’importance des textes, des statuts et de la loyauté professionnelle. Elle montre aussi que la frontière entre vie privée et vie professionnelle peut parfois se fissurer là où on s’y attend le moins. Et que dans certains métiers, la moindre entorse peut entraîner un licenciement pour faute grave, sans retour possible.

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